C'est une peinture de l'assourdissant. Qui dit le bruit étourdissant du « bonheur quand il s'en va ». Qui dit l'enfer des illusions qui tombent, des promesses oubliées. Qui dit la vanité de celui qui n'a jamais pleuré. Qui dit l'improbabilité du deuil. Et qui pointe l'impuissance de celui qui -seul(ement)- regarde. Qui sommes-nous, nous qui passons sans entendre le chagrin, la douleur, la souffrance ou le caprice ? Que donnerions-nous pour que ces larmes cessent ? Pour que les traits se recomposent et que le silence, enfin, revienne ?

Tanguy Roland peint le bouleversement : il habite ses toiles comme il habite son geste. Bouleversement lorsque la matière accroche la toile, s'entasse, se tasse ou se répand. A la peinture de verser ses propres larmes, coulures sincères, immédiates, spontanées ! Rien ne sauvera, décidément ces faces hurlantes, suppliantes. Ils savent bien, ces enfants là, que certaines blessures suintent à jamais…mais que la vie continue ! De gré ou… de force.
Qu'il peigne la douleur sur ces visages baignés de larmes, qu'il la distille au travers de Vanités Tanguy Roland peint la vie, ce qui en reste au moins, après les naufrages.

Alors il peint vite, sans tricher, sans revenir, jamais, sur ses propres traces. Il peint comme d'autres photographient en ceci qu'il est dans l'instantanéité. « Je ne veux pas me compromettre, dit-il simplement. Je ne veux pas être consensuel. » Alors il peint sans artifices, sans rien qui distraie l'œil de l'essentiel. Alors il peint toutes ces scènes que nous n'aimons pas voir parce qu'elles nous renvoient à…à quoi d'ailleurs ? À nos silences ? À nos insuffisances ? À toutes nos douleurs enfouies ? Aux plaies pansées ? À la force que nous avons gagnée à les surmonter ?

Dans la vie, Tanguy Roland est à mille lieues de ses toiles. A moins qu'il ne soit là où il est exactement quand il peint : à la longueur d'un pinceau d'elles. Là où « l'extrême du sérieux se dissout en hilarité ».

Anne Joly

A la peinture de verser
ses propres larmes,
coulures sincères,
immédiates, spontanées !




"Prisonnières d’un ballet freudienÉros et Thanatos règnent en maîtres, nos peurs se retrouvent, ici, suspendues aux cimaises. Dans le jeu de sa palette, l’ombre de la douleur s’est glissée, anonyme, dans chaque repli de ses toiles. Et si la touche forte et épaisse de ses œuvres poisse et s’impose à nous, sa présence incroyable n’a d’égal que la violence aiguë et la finesse chirurgicale de son coup de scalpel, qu’il se fasse encre ou bien fusain.

Assis au bord du temps, Tanguy Roland réfléchit sans cesse, convoque les Anciens, Mantegna, da Vinci, Caravage, et discute avec les contemporains. Puis l’artiste qu’il est se lève. L’aube est proche, la sentinelle aux aguets n’est plus que silence, car elle n’est plus qu’attente. Lorsqu’arrive enfin le cavalier d’Anghiari, Roland se sait promis au combat. S’entame alors une lutte sans ambages, jusqu’à ce que l’artiste, épuisé, s’écroule.

Du champ de bataille en ruine où fument encore les cris de la lutte, ne reste que ses œuvres (et quelles œuvres !) : notre chair mise à nu, offerte sans partage à nos yeux ébahis. Fatigué mais heureux, l’artiste sait qu’il peut aller dormir ; ce soir, il a ouvert la chambre de l’intime et nous sait, déjà, dans l’ombre, assis à son chevet…"
Eliane Reynold de Sérésin